Pour le prince des ténèbres, il fallait bien un lieu à la hauteur. Et c'est dans le prestigieux théâtre du Châtelet (plutôt solaire côté mémoire) que la nouvelle bonne idée de Kamel Ouali a jeté, devant un parterre choisi, ses premiers feux. Quelques tableaux, une 'démo', de ce qui sera, selon toute vraisemblance, le prochain succès sur un registre de plus en plus prisé du public français. Disons - pour la génération qui n'aurait connu ni Hair quand Julien Clerc était un gamin, ni Starmania quand Michel Berger était vivant - depuis Notre Dame de Paris. Le théâtre musical, à grand renfort de jeunes talents (il est redevenu un vivier plutôt exigeant), qui aujourd'hui fait plutôt bien le joint entre l'artifice haut de gamme de la scène et la chanson de variété, ne souffre plus la modestie ni l'approximation. Le public en redemande, mais il faut y mettre le prix. Les producteurs n'ont pas refusé grand-chose au chorégraphe algérien, coupable on s'en souvient d'une version des Dix Commandements et heureux concepteur du Roi Soleil.
Il s'agit cette fois, avec les goûts d'aujourd'hui, d'adapter (très) librement le roman de Bram Stoker. Dracula lui-même donc, dont les pâles clones un peu fin de race enchantent les pellicules telles que Twilight. Il s'agit, bien évidemment, de surfer une fois encore sur cette mode qui convoque les dents longues et les cous dociles. Mais Kamel Ouali, s'il joue allègrement avec les clichés, tient à bien mettre sa patte sur cet héritage romantique et sanglant. Et dans sa relecture, où il convient de ménager l'intimité de la souffrance comme l'attirail spectaculaire du mythe, il nous fait de Vlad l'empaleur un charmant danseur. Pas tout à fait fragile mais presque, Golan Yosef, interprète du rôle-titre, est passé par le ballet national de Marseille avant de rejoindre, en 2007, une compagnie new-yorkaise. Il est entouré d'une troupe fraîche et motivée qui offre comme il se doit des moments de perfection sur différents registres. D'un pas de deux aérien très 'nouveau cirque' à des mouvements d'ensemble valorisant une garde-robe qui a dû mettre plusieurs costumières à genoux, en passant par des chansons qui, avant même la première, sonnent déjà comme des tubes.
JEAN-FRANCOIS BOURGEOT
[source]